L’Université Populaire du Sport s’inscrit dans la pure tradition des universités populaires et de l’éducation populaire, en tant qu’elle ambitionne de répondre, dans ses cours, ses débats et ses pratiques, aux questions que suscitent les nombreux enjeux politiques, sociaux et éducatifs auxquels le sport fait face aujourd’hui.
Penser le sport pour comprendre le monde.
Le succès planétaire du sport, activité humaine pour le moins singulière, notamment dans son registre médiatique du sport-spectacle, peut prêter le flanc à la critique. Il s’avère toutefois être un atout considérable pour tenter d’éclairer et de comprendre les mécanismes qui sous- tendent l’intérêt qu’il fait naître, tout comme le rejet qu’il suscite chez ses détracteurs. Le sport se révèle être un prisme de compréhension du monde et il nous appartient de le penser. Penser le sport c’est avant tout penser et penser, c’est aussi penser contre soi-même, contre ce que l’on croit savoir et qui s’impose à nous à titre d’évidence. Une attitude intellectuelle qui féconde la distinction et l’esprit critique.
L’Université Populaire du Sport se donne pour finalité de penser le sport en ne s’interdisant aucune question, aussi dérangeante soit-elle.
L’UPS, un espace de libre parole pour de multiples questions :
Le sport, a globalement fait consensus depuis ses origines anglaises du milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 70 du XXe qui ont vu émerger les premières critiques élaborées de cette activité humaine encore tout auréolée de ses vertus de courage et d’effort.
Le XXIe siècle naissant marque un nouveau tournant et nous invite à repenser le sport dans un contexte où l’idée-même de « progrès » est mise en question : « Plus vite, plus haut, plus fort » dans la production, dans l’exploitation des ressources, dans la compétitivité, la vitesse et la performance. Ces mots d’ordre ont-ils encore un avenir ?
D’autres mouvements de pensée s’emploient plus radicalement encore à créer un homme nouveau, inaltérable et performant : «si tu penses que tu seras moins fort que la machine, deviens alors toi-même une machine. » nous dit Elon Musk.
L’illusion de l’être parfait ne nous conduit-elle pas à “la honte prométhéenne d’être soi“ et à la disparition de l’homme sensible au profit de la machine ? N’avons-nous pas déjà franchi la frontière de l’homme-machine en matière sportive ?
Extraordinaire laboratoire de mise en œuvre des techniques réparatrices pour corps meurtris, la performance paralympique n’ouvre-t-elle pas la porte au transhumanisme ?
Exit l’homme réparé, advient l’homme augmenté.
Le sport résistera-t-il aux promesses des technoprophètes ?
Demain l’athlète porteur d’un handicap pourra-t-il facilement vaincre l’athlète valide ?
Ferons-nous alors monter sur le podium le concepteur des prothèses championnes ?
De quel progrès parle-t-on ?
Oublieux de sa forme primitive qu’est le jeu réglé, le sport est-il devenu l’otage de la mesure et du chiffre, ses maîtres à penser ?
Vision prométhéenne, s’il en est, d’une humanité toujours désireuse de courir plus vite, de sauter plus haut et de lancer plus loin. Mais est-ce là l’utopie d’une époque, la nôtre, en proie à l’illimité ?
Peut-être est-ce aussi en cela que le sport relève davantage du phénomène culturel, qui passe avec le temps, que de la culture, qui traverse le temps.
Les plus anciennes peintures rupestres ont plus de trente mille ans, le plus ancien instrument de musique a dix-huit mille ans. Le sport n’a pas encore deux siècles d’existence. L’ère du sport pourrait-elle n’être qu’une simple parenthèse ?
Néanmoins, si le sport n’est pas un art, («Dans l’art, on ne juge jamais de la qualité par la quantité » – Paul Yonnet), bien des athlètes de haut niveau font figure d’artistes. La beauté d’un geste sportif et l’émotion qu’elle suscite, dans la tension compétitive, à l’heure d’un ultime saut à la perche qui consacrera ou non le champion, reste incomparable.
L’histoire du sport fourmille de moments inouïs et exaltants qui font vibrer, dans les stades depuis des décennies, des générations entières ; et aujourd’hui devant nos écrans. Aucun autre spectacle au monde, aucune religion, ne réunit au même instant autant de fidèles dans le plus pur «communisme des affects» (Paul Virilio).
Le sport est sans conteste le phénomène social majeur du XXe siècle, un « fait social total » pour reprendre l’expression de Marcel Mauss.
Le spectacle sportif occupe le devant de la scène médiatique, mais n’est-ce pas dans les coulisses que se joue une autre réalité du sport, celle de millions d’adeptes-pratiquants où chacun, à sa mesure, aspire au seul bien être du corps en mouvement, au seul plaisir de la rivalité féconde, telle que l’avaient pensée en leur temps les Grecs, pour lesquels, l’amitié (philia) et la compétition (agōn) allaient de pair.
Une amitié sportive qui fascina Pierre de Coubertin, un sport-santé du corps et de l’esprit. Mens sana in corpore sano.
Alors, serait-il temps de redonner au sport toute sa place, mais précisément rien que sa place ?
La vie n’est-elle pas plus importante que le sport, l’amour plus important que la compétition et la justice plus importante que la victoire ?
À l’instar de la rivière, le sport semble être sorti de son lit, balayant sur son passage toutes les qualités et les vertus d’antan qu’on lui attribuait, pour une course effrénée, ou plutôt, une fuite en avant qui n’aurait plus guère de sens.
Voulons-nous véritablement, un jour, courir le 100 mètres en 3 secondes ?
Qui y-a-t-il encore d’humain à départager deux athlètes au millième de seconde ?
Ne célébrons-nous pas ici la prouesse technique de la machine au détriment de l’homme sensible, fait de chair, dont l’épanouissement et l’accomplissement ne sauraient se réduire à la performance d’un «corps maître», d’un « corps-œuvre » indéfiniment perfectible ?
N’est-il pas temps d’imaginer de nouveaux paradigmes en privilégiant l’avènement de quelques progrès d’ordre moral, au sens des mœurs et non de la moraline nietzschéenne.
Un sport moral est-il possible tant l’expression parait oxymorique ?
Certains sports, dont la finalité est la destruction physique de l’adversaire, notamment au niveau du cerveau, siège névralgique de notre conscience et de notre identité en tant que sujet, sont-ils toujours concevables ?
Aurions-nous encore besoin de tels sacrifices pour s’attirer la faveur des Dieux ?
La compétition constituerait-elle le seul horizon eschatologique de l’Homme ?
Peut-on réinventer un spectacle de la confrontation en la délestant de la violence totale qui conduit parfois à l’irréparable ?
À l’heure où le réchauffement climatique est en passe de bouleverser toutes les activités humaines, ne serait-il pas temps d’inventer de nouveaux imaginaires du sport écoresponsables ? Dans un monde où les ressources se font rares alors que la population augmente, n’est-il pas l’heure de questionner le concept même de performance qui concentre en son sein tant d’énergie au service de quelques-uns dans la mythologie de l’Olympe ?
Le sport n’est-il pas un lieu de discrimination (grands petits, jeunes vieux, hommes femmes, valides handicapés) qu’il conviendrait de transformer en un espace d’inclusion par de nouvelles mixités ?
Un magnifique chantier de réflexion s’offre à nous pour dessiner ou repérer les contours d’un avenir sportif prometteur, peut-être déjà là. Pour le mener à bien, nous ne manquerons pas d’avoir recours à la pensée d’Edgar Morin, penseur de la complexité qui définit le sport en ces termes : Le sport est comme le point d’un hologramme qui porte le tout de la société en lui, mais aussi sa singularité : le jeu, dont le péril de la dégénération en violence est contrôlé par l’arbitre».
L’UPS, un enjeu démocratique
À l’évidence, le sport peut apparaître comme une propédeutique à l’analyse et à la compréhension de nos sociétés occidentales.
Il mobilise l’ensemble des savoirs et des sciences disponibles. De la philosophie à l’anthropologie, de l’histoire à la sociologie en passant par la géopolitique, l’économie, la médecine, les neurosciences et même la théologie.
Le sport, langage du corps par excellence, n’en mobilise pas moins les esprits, les esprits curieux qui viendront à l’Université Populaire du Sport pour questionner, argumenter et peut-être s’instruire auprès de scientifiques, d’intellectuels mais aussi de personnes de terrain, riches de leur expérience – car si la parole des intellectuels s’avère particulièrement précieuse, il nous appartient de la concevoir dans l’idée d’une éducation mutuelle avec un large public.
C’est ainsi que nous tendrons vers une réelle transformation sociale, plus équitable et plus harmonieuse, dans la réconciliation et la mise en mouvement du « peuple » (qui reste toujours à définir) et des élites, pour une démocratie en bonne santé.
L’Université Populaire du Sport est avant tout un projet citoyen, laïc, républicain, humaniste, pédagogique, inclusif, collectif, émancipateur et très enthousiaste. «Le savoir rend heureux, le savoir rend libre.» (Michel Serres)
Les membres de l’Université Populaire du Sport